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le blog de Daniel
22 janvier 2005

État permanent d'ivresse Une autre lecture

État permanent d'ivresse

            

Une autre lecture récente que j'ai adoré. Pieds nus dans l'aube de Félix Leclerc. Un passage:

"On a pas sitôt bâti une chose qu'il faut en recommencer une autre, dans le fond, semblable. La mer n'a pas sitôt posé une vague sur le rivage, qu'elle court en chercher une autre. Les fourmis n'arrêtent pas de transporter les grains de sable. Dans cent ans, les feuilles de tremble trembleront encore, et la chanson de l'oiseau ne sera pas terminée. L'homme n'arrête pas de charroyer les jours. Le grenier d'où ils sortent en contient inépuisablement : ils viennent, chacun leur tour, sans faire défaut, ponctuels, jamais deux à la fois, bien souvent vêtus d'or quand nous sommes en deuil, et de gris quand nous sommes en fête.

Ç'aurait été pourtant si facile pour le bon Dieu (assurément ce lui serait un jeu encore, s'il le voulait), d'arrêter le temps, certain soir d'été, alors qu'il a plu beaucoup l'après-midi et que le soleil paraît pour tiédir le vent; que l'arc-en-ciel s'empare des gouttes d'eau et fait le pont d'une montagne à l'autre; que la terre boit, satisfaite, comme à la mamelle; que tous les gavroches, pieds nus dans les lacs de la rue, tirant leurs bateaux de papier, s'interpellent en secouant des cris heureux; que les ouvriers de retour de l'ouvrage s'attardent sur les marches de leur maison pour applaudir l'éclosion d'une fleur près du trottoir; que l'écho crie sans cesse : « Ohé, ohé, ohé! »; que les vieilles grand-mères, toutes cassées, toutes courbées, sortent de l'église et tiennent leur joie à deux mains pour ne pas qu'elle renverse; qu'un grand soulagement passe sur tout ce qui peine; que même les pavés poussent de furieux éclats de rire quand un cerceau roule sur leur dos!

Insaisissable bonheur!

Est-ce qu'un jour les fleurs se déracineront pour rejoindre les oiseaux dans l'air, que les animaux se mettront à causer, que l'odeur de fête persistera, que l'ivresse deviendra un état permanent, que les hommes assisteront enfin à l'agonie de la haine, de la peur, du feu, du vol, des mots atroces? Le repos que tous désirent est-il quelque part ici, après tous ces siècles de tentatives, après tous ces siècles d'échec?"

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